08 juin 2016

Ce pays qui te ressemble de Tobie Nathan

Résumé :
Zohar nait en 1925 dans une Égypte où superstitions et traditions, juifs et musulmans se mélangent. Enfant d'une jeune femme un peu folle et sorcière et d'un homme bon et aveugle, il est nourri par une femme musulmane au côté de sa soeur de lait, Masreya, qui deviendra son grand amour, un amour interdit. Il grandit et vieillit dans ce pays gouverné par Farouk, roi névrosé pris entre les Allemands et les Anglais, vit la seconde guerre mondiale et assiste à l'avènement des frères musulmans et des nationalistes qui portent Nasser au pouvoir en 1952 et chassent les juifs de leur patrie...

Mon avis :
Ce n'est pas le genre de livre qui m'attire habituellement (quoique) mais j'en avais entendu parler en bien l'année dernière et comme il s'y passait en Égypte et que j'y ai vécu 8 ans dans les années 90, j'ai eu envie de découvrir ce roman. Sa lecture fut plaisante et intéressante, ayant davantage aimé la seconde partie, plus imprégnée de faits historiques, que la première un peu trop chargée en exaltation et en superstitions.

Ce pays qui te ressemble est un peu le pendant égyptien des Belles de Tunis que j'ai lu il y a quelques semaines. En moins romanesque et plus exalté. Du coup, quand je l'ai commencé, les similitudes m'ont gênée et je me suis dit que j'allais avoir du mal à le lire car Les belles de Tunis était encore bien présent dans mon esprit. Mais finalement, j'ai fait abstraction de tout cela et ai apprécié l'histoire pour elle-même.

En tout cas, comme pour les Belles de Tunis, le roman se passe au début dans le ghetto juif. C'était la Hara à Tunis, c'est la Haret El Yahoud (le quartier des juifs) au Caire. Dans les deux romans, juifs et musulmans vivent en relative bonne harmonie mais les juifs vivent quand même dans des quartiers bien à eux. Mais ça s'arrête là. Car là où le roman de Nine Moati était une chronique familiale assez soft, celui de Tobie Nathan explose de sensualité, d'exaltation, d'odeurs et de bruit. Notamment à son début très porté sur la magie et le surnaturel. J'avoue que ce n'est pas ce que j'ai préféré dans l'histoire, je l'ai déjà dit plus haut. Cela m'a paru un peu "too much", exagéré à l'extrême. Mais peut-être cela est-il pour mieux souligner la différence avec la suite de l'Histoire (avec un grand H) quand le pragmatisme des militaires et des Frères musulmans va prendre le dessus et instaurer une Égypte moderne où le fantastique n'a plus lieu d'être.

Si la première partie m'a moins convaincue, il y a quand eu des passages sympas à lire, notamment les tribulations des oncles (ou assimilés) et du jeune Zohar, très cocasses.

La 2e moitié du roman a donc un aspect nettement plus historique et permet de sortir un peu du ghetto et découvrir d'autres aspects du Caire et de l'Égypte. J'y ai appris des choses (même si c'est assez romancé), ai redécouvert des lieux que je connaissais lorsque j'y vivais. Notamment le restaurant (pâtisserie) Groppi, institution locale renommée. D'ailleurs lorsque l'on apprend l'arabe dialectal du Caire, "Où est le restaurant Groppi ?" est l'une des premières phrases que l'on apprend :D On se balade également le long du Nil, on arpente la rue Kasr El Nil, on part pour Siwa, l'une des oasis les plus intéressantes du pays, en s'arrêtant à Marsa Martrouh, dernière ville côtière 300 km après Alexandrie avant de prendre la route du désert pour Siwa.

Historiquement, on voit l'Égypte indécise hésiter entre l'Allemagne et l'Angleterre, on assiste à la montée en puissance des Frères musulmans, aux émeutes de 1952, à la destitution de Farouk et l'avènement de la république. Je dois dire que j'ai trouvé beaucoup aimé tous ces passages-là, prenants, violents parfois.

J'ai été un peu mitigée sur la façon dont sont représentées les femmes dans ce livre. Ce sont soit des femmes hyper sensuelles, comme Masreya ou sa mère, soit un peu folle comme la mère de Zohar, soit mères juives hystériques comme les tantes du jeune homme...

J'ai eu un peu de mal à trouver les personnages attachants. Il y a bien le père de Zohar, Motty, qui est un personnage touchant et intéressant et que j'ai beaucoup aimé. Zohar est également intéressant, malin et atypique. Masreya (qui veut dire "l'Égptienne), elle, est décrite comme une femme sensuelle, je l'ai dit, mais en dehors de cela, elle n'a pas beaucoup de consistance. Quant au roi Farouk, il est décrit comme un homme mené par ses sens et les femmes, assez immature.

Tobie Nathan est psychologue à l'origine. Il l'est toujours d'ailleurs (quand je lisais le livre, je l'ai entendu dans une émission de radio :)) Il est né (en 1948) et a vécu au Caire jusqu'en 1957, date à laquelle les juifs furent expulsés du pays. Ce sont donc ses racines qu'il raconte dans ce livre foisonnant au style assez exalté et lyrique. Mais pas désagréable à lire. On se laisse prendre à ses envolées une fois rentrés dans l'histoire et je dois dire que les 540 pages du roman se lisent très bien et rapidement. Grâce à lui, j'ai retrouvé des expressions entendues lorsque je vivais au Caire, notamment Ma'lech, un mot clé de la langue arabe du Caire qui veut dire tant pis, c'est pas grave et qu'il explique d'ailleurs et que les Égyptiens emploient à tout bout de champ :)

En conclusion, Ce pays qui te ressemble est une histoire intéressante qui permet de découvrir ou redécouvrir une Égypte qui n'existe plus vraiment mais qui m'a permis de me balader dans des endroits où j'ai vécu il y a maintenant 20 ans. J'ai préféré la 2e moitié, plus historique, à la première où le surnaturel et l'exaltation sont un peu trop présents à mon goût. Et si voulez savoir si Zohar et Masreya arriveront à s'aimer et quelle sera la destinée du jeune homme, lisez-le.

Note :



Ce roman fait partie du Challenge ABC 2016 de Nanet
12/26

2 commentaires:

  1. J'ai une vision très différente de la tienne pour la simple raison que non seulement c'est un pays que je ne connais pas du tout, mais qu'en prime, je me suis aperçue que je ne m'étais jamais penchée sur l'Histoire de ces coins-là en particulier à ce moment-là.
    Ce fut donc pour moi une totale découverte du début à la fin.
    J'ai été un peu déroutée par le côté superstition qui ne "collait" pas avec ce que je sais des religions musulmanes et juives mais je l'ai trouvé intéressant car il m'ouvrait de nouvelles perspectives.
    Et j'ai été très étonnée et curieuse du coup de comment la modernisation se fait ; malheureusement accompagnée aussi d'une radicalisation qui faisait étrangement écho au monde actuel.
    De mémoire, la deuxième partie m'avait plus frustrée, non par le développement de l'histoire mais parce que justement le côté historique me paraissait trop rapide, comme survolé. J'en aurais voulu beaucoup plus. Je pense que j'y reviendrai certainement après avoir approfondi ce côté-là.
    J'en apprécie d'autant plus ta chronique que cela me permet de mettre des mots sur le "pourquoi" ce livre m'a autant laissé sur ma faim.

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  2. C'est vrai que le côté superstitieux est un peu surprenant mais finalement pas tant que ça quand on sait qu'il y a les derviches tourneurs chez les musulmans qui sont assez mystiques ou encore l'histoire du golem chez les juifs. Là, j'ai juste trouvé que c'était un peu trop exalté. Pour le côté historique c'est vrai que c'est plutôt survolé mais on en apprend pas mal. Et merci beaucoup pour ton commentaire, Mypianocanta, très complet et intéressant.

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